Victor Vermorel

Une soif de curiosité : enfance et début des recherches

Victor Vermorel est un personnage historique français encore peu connu et complexe. Cette personnalité a marqué l’histoire tant du Beaujolais que celle des Sciences contemporaines. Victor Vermorel naît le 29 novembre 1848. Il grandit à Villefranche-sur- Saône, dans un univers agricole aux pratiques encore très traditionnelles.

Tel père, tel fils…
Son père, Antoine Vermorel est à la tête d’un petit atelier de machines agricoles. Il y mène des recherches technologiques pour créer de nombreux outils agricoles, comme le tarare, une machine servant à séparer les grains de leurs impuretés. En 1852, il dépose un brevet d’invention sur cette machine qui permet de séparer le grain de son enveloppe : le « Moulin Tracnai ». Puis, dès 1864, il commence à diversifier ses productions.

À ses 12 ans, Victor est envoyé poursuivre ses études au lycée de Bourg-en-Bresse. Élève studieux et impliqué, il est remarqué par le ministre de l’Instruction public, Victor Duruy, qui voit en lui un avenir brillant. Mais lorsqu’il a 15 ans, son père le retire du lycée pour qu’il intègre l’atelier familial. Le jour, le jeune homme aide à la fabrication du tarare ; le soir, il se consacre à l’étude et à la lecture. Doué pour le dessin et la géométrie, Victor aide ses camarades d’atelier dans ces disciplines. C’est un jeune homme assoiffé de savoir, qui s’interroge sur tout, sur la politique, la religion et les questions de société.
Père et fils partagent une même passion : les machines et les concours agricoles. C’est justement lors d’un concours de rapidité de confection de beurre, que le jeune Victor, âgé alors de 17 ans, remporte une médaille d’argent pour avoir confectionné son beurre en 11 minutes, dépassant ainsi son père qui l’avait réussi lui en 20 minutes.

L'independance

Présentation

1869. Pendant sa 21ème année, sans prévenir sa famille, et ayant déjà des bases en langue allemande, Victor part découvrir l’Allemagne pour continuer son apprentissage du travail industriel et de l’utilisation des métaux non ferreux. Il développe en même temps ses connaissances en plomberie, en chaudronnerie et en tournage. Quelques mois plus tard, il rentre finalement en terres caladoises, mais la déclaration de guerre de l’empereur Napoléon III à la Prusse de Guillaume Ier à l’été 1870 l’envoie sur le front. Il sert dans le 4ème bataillon du 65ème régiment de marche pour la défense de Belfort, et soutient les efforts lors du siège de la ville, du 3 novembre 1870 au 16 février 1871.
En rentrant de la guerre, son père étant décédé un an auparavant, il reprend la tête de l’entreprise familiale.

Il épouse civilement Georgette Pierre, fille d’un propriétaire agricole à Massay dans le Cher. Le couple aura trois filles et deux fils. Georgette devient sa plus étroite collaboratrice. Elle, à la comptabilité et à la gestion quotidienne de l’entreprise ; lui, aux voyages pour apprendre, développer la notoriété de l’entreprise et se consacrer à ses inventions.

Georgette et Victor Vermorel

Ses débuts dans
l’agriculture

Victor Vermorel, entrepreneur scientifique

De 1872 à 1892, Victor se dévoue à l’agriculture. Tout d’abord, il commence par agrandir l’atelier, puis se spécialise. Homme de son temps, il se lance dans le développement de la métallurgie  et de la mécanique pour créer de nouvelles machines agricoles.
En 1874, en association avec d’autres jeunes hommes passionnés de sciences naturelles, ils créent l’Union philomathique, dont le but est «la culture de la science et de sa vulgarisation» ainsi que l’exploration scientifique du Beaujolais. Victor est en outre entouré d’Antoine Déresse, ainsi que deux étudiants en pharmacie Joseph Revil et Jean Robin. Cette société est rapidement reconnue par les personnalités scientifiques de la région. Une vingtaine de passionnés les rejoignent. Ils reçoivent les encouragements et les félicitations du fameux médecin et physiologiste Claude Bernard originaire de Saint Julien. Bien que cette union ne dure que quatre ans, ils eurent l’occasion d’organiser des concours, des excursions et même des conférences sur des appareils techniques.
La passion pour le développement et la diffusion de la connaissance du monde agricole ne s’éteint pas avec la fin de l’Union Philomathique car Victor continue de s’impliquer dans différentes sociétés savantes de la région.
A la fin du XIXe siècle, le petit atelier est devenu une entreprise florissante. Le couple Vermorel investit dans des terres et des édifices pour étendre leurs manufactures et loger leurs employés. Les usines Vermorel ne cessent de grandir jusqu’à la mort de Victor en 1927.



Remédier aux maladies de la vigne…

Le XIXème siècle fut une période de révolutions et d’évolutions des pratiques agraires. Malgré les progrès qui permettent une amélioration du travail, des dangers ont menacé et affligé les champs.

En 1880, Victor fonde la revue « Progrès agricole et viticole » dans le but d’informer les viticulteurs et les agriculteurs de la région sur les problèmes et les solutions qu’ils peuvent mettre en place. Parallèlement, il fonde le Comice agricole qui est un autre moyen de tenir au courant les vignerons du Beaujolais des progrès réalisés dans la lutte contre les maladies et les parasites des vignes. La coopération entre agriculteurs et viticulteurs est centrale ! Les deux corps se soutiennent et s’entraident pour éradiquer les problèmes rencontrés.
Dès 1873, les vignobles français sont attaqués par un petit insecte ravageur : le phylloxera. Ce parasite à l’état de larve suce la sève jusqu’à la mort du cep. En 1882, il attaque près de 2 000 hectares de vignes, et 10 000 en 1887. En 1883, un tiers des vignes de la vallée d’Azergues doit être arraché… Les pertes sont terribles pour la région.
Sensible au désarroi des vignerons, Victor Vermorel veut agir. En 1883, il achète la licence du Pal Gastine : appareil qui injecte des produits insecticides. Il le modifie et crée un nouveau modèle : le Pal Excelsior. Mais cette technologie devient rapidement obsolète, car les greffes à partir de plants du nouveau monde permettent de lui faire un sort.
L’accalmie est de courte durée. Le mildiou, champignon parasite, se répand dans les vignobles de France. Inspiré du succès des greffes, de nouveaux essais sont faits mais ils ne donnent pas les effets escomptés. Lors d’une conférence donnée par l’entomologiste américain Charles Valentine Riley, à Montpellier, en 1884, Vermorel s’inspire de ses théories sur la lutte contre les parasites de la vigne pour créer un système révolutionnaire de pulvérisation : l’Éclair est né !
Cet appareil en cuivre, aux lanières de cuir permet d’être porté sur le dos. Au bout de sa lance, de fines gouttelettes se répandent après l’actionnement d’une pompe à bras. En 1885, une version améliorée est présentée lors d’un concours en Italie. C’est un succès retentissant ! La commercialisation de l’Éclair dès 1887 marque le début de la véritable fortune des Vermorel.

« Le progrès par
l’expérience »

Outre ses activités industrielles, Vermorel ne cessa de participer à l’augmentation des connaissances des techniques agricoles et viticoles. En 1888, Victor décide de créer son propre centre de recherche consacré à la vigne. Il achète à Villefranche, la propriété des Roches et acquiert, proche de sa maison, un vaste terrain pour y installer dans un pavillon, la 1ère station viticole.

Là, il peut accueillir une chimiste et un agronome pour faire des conférences et rédiger des notices instructives. Très vite, il s’adjoint les services d’un spécialiste des insectes et d’un expert en maladies cryptogamiques. Il crée un lieu entièrement consacré aux travaux expérimentaux sur tous les aspects qui touchent à la culture de la vigne. C’est, en France, le premier établissement privé de ce type. La devise de la station est « Le progrès par l’expérience » apportant ainsi aux agriculteurs et aux vignerons une instruction par l’exemple. De nombreux étudiants de toute l’Europe viennent y passer quelques mois de stage, et les sommités scientifiques se pressent pour visiter cet établissement ambitieux, bénéficiant du matériel le plus moderne de l’époque. Vermorel y installa entre autres un laboratoire de physiologie, de chimie, une station météorologique… En 1891, Victor acquière une propriété à Liergues. Il baptise la propriété « l’Eclair ». Là, il s’emploie à rétablir le domaine ruiné par le phylloxera. En 1894, l’exploitation viticole a un rendement exceptionnel ! Ce domaine devint un champ d’expérimentation pour servir à la viticulture beaujolaise (ce qui est encore le cas aujourd’hui)

Une 2ème station viticole va même voir le jour pour devenir ce qui est aujourd’hui connu comme le « 210 en Beaujolais ». La construction commence en 1897. On y trouvera différents laboratoires : chimie, entomologie, botanique… un atelier de photographie pour la photomicrographie… et une bibliothèque !
Cette bibliothèque est spécialisée dans les ouvrages de viticulture, pathologie végétale, chimie agricole, géologie, zoologie… On y trouvera bien entendu à partir de 1900 la fameuse ampélographie en sept volumes initiée et financée par Victor et coordonnée par Pierre Viala aidé de 87 scientifiques choisis parmi les plus grands spécialistes mondiaux de l’époque : 3200 pages enrichies de 500 planches couleurs et de 840 gravures permettant de documenter les 5200 cépages répertoriés dans le monde entier. Cet ouvrage reste aujourd’hui l’un des jalons historiques important pour l’étude des cépages. Dans le bâtiment, une salle lui est dédiée et les planches originales y sont exposées.

En 1928, la bibliothèque Vermorel est, dans son domaine, l’une des plus importantes au monde avec plus de 30 000 volumes.
Dans son entreprise de diffusion des savoirs, Vermorel racheta en 1924 un bâtiment adjacent à la Station Viticole pour en faire un musée du Vin. Il voulait retracer là l’histoire du vin de l’antiquité à nos jours. Mais, il mourut en 1927 avant de pouvoir réaliser son projet. Georgette, son épouse voulu elle aussi poursuivre cette aventure mais n’y parvint pas avant son décès. En 1951, le hangar est vendu à la ville de Villefranche et devint un gymnase.

En route vers
le succès !

L’entreprise Vermorel continua à diversifier ses productions. Outre les machines agricoles, l’entreprise entend conquérir les machines de transports. Entre bicyclettes, automobiles et, dans une moindre mesure, les moteurs d’avions, les ateliers produisent !
L’année 1898 marque le début de l’aventure automobile pour la famille. La « Vermorel » sort en premier de l’usine. En 1907, Victor confie la suite de cette branche à son fils Édouard passionné de mécanique. En 1908, la première voiture de sport se fait remarquer lors de la course de la côte du Mont Ventoux.
La faible production de voiture, en partie due à la personnalisation des véhicules ne permet pas à la branche de grandir. En 1905, les Vermorel commencent à produire leurs voitures en petite série. Les demandes les conduisent à produire d’autres types de véhicules allant des petits utilitaires aux camions.
À la suite des terribles événements de l’été 1914, l’entreprise est contrainte d’arrêter ses productions. Elle soutient cependant les efforts de guerre. Les pulvérisateurs sont employés sur le front pour contrer les gaz asphyxiants et assainir les tranchées. Et la branche automobile fournit les militaires en véhicules. La mondialisation du conflit leur a permis d’exporter leurs véhicules. Dans les années 1920, la « Vermorel » est considérée comme la « Rolls » des voitures étrangères par les Britanniques. Mais, la crise économique des années 1930 et la généralisation de la production à la chaine ont raison de la branche automobile. Édouard restera à la tête de l’entreprise jusqu’à sa mort en 1956.

Victor Vermorel,
homme politique

Victor Vermorel a aussi été un politicien français. Ses débuts en politique se font à son retour de la guerre de 1870. Il se rattache aux idéaux radicaux-socialistes, alors à l’extrême-gauche du nouvel échiquier politique de la IIIe République naissante. Cette mouvance politique radicale conjugue les idées républicaines, plutôt étatistes, à des propositions socialistes, considérées comme révolutionnaires à l’époque. Il devient aussi Franc maçon et intègre la loge « Bienfaisance et amitié » de la Croix-Rousse à Lyon dont faisait déjà partie son père, puis, six mois plus tard, « Fraternité Progressive » à Villefranche-sur-Saône.

A cette période, Victor n’est pas pleinement engagé dans la vie politique et civique de la région, ce domaine ne le satisfaisant pas. Il se détourne même de la politique et de la religion préférant les sciences naturelles, qu’il découvre en arpentant les montagnes du Beaujolais. Mais, à l’extrême fin du XIXe siècle, il reprend ses ambitions politiques. Il est tour à tour conseiller municipal, second adjoint au maire de Villefranche (1891-1895), Vice-président et Conseiller Général du Rhône (1907-1919) puis maire de Liergues où il a établi son domaine (1906 – 1918).

En 1909, il devient Sénateur du Rhône. Il occupera son siège au Palais du Luxembourg jusqu’en 1919. Après cela, il se retire définitivement de la vie politique pour se consacrer à son entreprise et aux œuvres sociales. Il finance la construction de la Maison de la Mutualité à Villefranche en 1910 et préside de nombreuses sociétés et associations.

Tout au long de sa carrière, il resta cohérant et fidèle à la ligne radical-socialiste, et ne prit part aux débats qu’aux sujets qui demandaient son expertise sur le monde agricole, viticole et industriel. Victor Vermorel décède le 13 octobre 1927. Il laisse derrière lui un riche héritage pour le Beaujolais. Il fut un des plus brillants industriels français du 20ème siècle, un grand humaniste et mécène pour la science, pour sa ville natale et le Beaujolais.